DiscoverAtelier des médiasPourquoi l'OSINT est l'affaire de tout le monde : entretien avec Allan Deneuville
Pourquoi l'OSINT est l'affaire de tout le monde : entretien avec Allan Deneuville

Pourquoi l'OSINT est l'affaire de tout le monde : entretien avec Allan Deneuville

Update: 2025-11-29
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Allan Deneuville, maître de conférence à l'université Bordeaux-Montaigne et chercheur au centre GEODE (Géopolitique de la datasphère), vient de publier OSINT : enquêtes et démocratie (INA éditions). Dans ce livre, il explore cette méthodologie d'investigation qui a explosé depuis une quinzaine d'années dans l'écosystème informationnel mais qui a aussi un côté sombre, la dark OSINT.

L'acronyme OSINT, pour Open Source Intelligence (ROSO pour Renseignement d’origine sources ouvertes, en français), désigne la collecte et l'analyse d'informations accessibles à tous. C'est l'art de collecter et analyser des infos que tout le monde peut, en théorie, consulter. L'exemple des « Strava Leaks », en 2018, a montré la puissance du phénomène : en faisant leur footing, des soldats américains déployés en Afghanistan avaient sans le savoir cartographié méticuleusement des installations ultra sensibles. La pratique de l'OSINT n'est donc « pas qu'un truc de journaliste ni d'espion, c'est un peu l'affaire de tout le monde », résume Steven Jambot. 

Le poison et le remède : la double nature de l'OSINT

L'OSINT est devenue un enjeu démocratique majeur, une méthodologie protéiforme, à la fois salutaire et dangereuse. Pour en décrire la nature ambivalente, Allan Deneuville utilise la notion philosophique de pharmakon, un terme grec qui signifie qu’une substance est à la fois « remède et poison ». S'il est utilisé à une certaine dose, l'OSINT peut être bénéfique, mais si elle est utilisée « avec une mauvaise dose, elle peut être un poison ».

Ce phénomène prend une ampleur inédite en raison de l'omniprésence des données dans notre environnement, un contexte marqué par la « documentalité » et l’« hyperdocumentation », qu'explique Allan Deneuville. En effet, grâce à la numérisation du monde et à l'hyperlien, « tout document, grâce à l'hyperdocumentation, est apporté de main ». Cette hyperaccessibilité a rendu l'OSINT incontournable. Elle repose sur le « bricolage » numérique, l'art de détourner, bricoler numériquement pour avoir accès à des informations en les croisant avec d'autres informations, en utilisant des données disponibles publiquement comme Flight Radar 24 ou MarineTraffic.

Allan Deneuville propose une définition large pour englober ses multiples usages : « L’OSINT est une méthode potentiellement itérative et collaborative qui consiste en la collecte, l’analyse et l’exploitation systématique de documents et de données provenant de sources accessibles au public légalement, gratuitement ou non, dans le but de répondre à un besoin d’information. »

La face sombre : Dark OSINT et fragilité démocratique

Malgré son rôle crucial dans la lutte contre la désinformation (fact-checking) et pour l'émancipation citoyenne, l'OSINT possède une part sombre, désignée par l'auteur comme la « dark OSINT ». Celle-ci recouvre les usages antidémocratiques qui se manifestent, à l'échelle individuelle, par le stalking et le doxxing. Le doxxing, qui consiste à collecter et diffuser des informations privées dans le but de nuire, de harceler ou de menacer, ainsi que le « vigilantisme numérique », menacent l'État de droit. 

À l'échelle étatique et géopolitique, l'OSINT révèle l'« asymétrie structurelle fondamentale » entre les démocraties et les régimes autoritaires. Les sociétés ouvertes sont paradoxalement plus vulnérables, car, comme le rappelle Deneuville : « Un des risques, c'est le fait que nos ennemis géopolitiques ont accès à nos informations et puisse s'en servir contre nous. » Les régimes autoritaires exploitent cette transparence pour mener des opérations d'influence et de surveillance de masse.

De plus, l'OSINT est confrontée au risque d'instrumentalisation de ses propres codes visuels. Les enquêtes vidéo utilisent une « grammaire visuelle de la véridiction », qui peut être imitée par la propagande pour diffuser des contre-récits, notamment lors du massacre de Boutcha (Ukraine) ou de l'explosion de l'hôpital Al-Ahli (Gaza). Face à des vérités divergentes, la méthodologie doit s'accompagner d'un « regard réflexif ».

L'OSINT : une compétence de base pour la résilience

Pour Allan Deneuville, il est essentiel que l'OSINT soit couplée à l'enquête de terrain et à l'expertise. L'OSINT « ne se suffit pas en tant que telle ». La collaboration est nécessaire, il faut « travailler avec le terrain, [...] avoir accès à des spécialistes », pour mieux comprendre et analyser les données.

En conclusion, l'apprentissage de l'OSINT devient un enjeu de citoyenneté et d'éducation. « Pour moi, il faut vraiment penser l'OSINT aujourd'hui comme une compétence numérique de base à enseigner au plus grand nombre », explique Allan Deneuville. Cet apprentissage est la clé de la « résilience de nos sociétés face à la désinformation et face aux manœuvres et aux ingérences étrangères ». Le Festival de l'OSINT, co-organisé par l'association OpenFacto, contribue à cette démocratisation, étant ouvert au plus grand nombre. Sa 3e édition se tient les 5 et 6 décembre 2025 à Paris.

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RFI